• Auteur : "Biblio"
  • Date : 6 juillet 2005 (30 avril 2010)
  • Licence : Art Libre link_license

Creative Commons : une liberté en nuances et à nuancer

Quelques critiques fusent de-ci de-là depuis quelques mois déjà : les Creative Commons ne seraient-elles pas un ignoble cheval de Troie qui détournerait du véritable esprit Libre ?!

Comme souvent, rien n’est noir ou blanc, tout est dans les nuances de gris, et c’est sans doute l’apport majeur des CC : secouer la dichotomie primaire libre (c’est bien)/propriétaire (c’est mal) chère à certains.

L’adhésion massive des internautes à ces licences aura sans doute précipité les choses, mais peu se sont encore arrêtés sur la question sans tomber dans les excès dogmatiques.

Parmi eux, on peut citer Pierre Mounier avec un essai paru sur Homo Numericus : La GPL est-elle soluble dans la libre culture ?.

Et "Biblio", étudiant en sciences du langage à l’université Lyon 2, qui nous fait part lui aussi des quelques reflexions que la situation lui a inspiré.

Si les licences libres pour les contenus non-logiciels ne datent pas d’hier, l’arrivée des Creative Commons aura été leur petite révolution. Leur succès est tel que de nombreuses traductions ont désormais une valeur légale dans certains pays des locuteurs, que nombre de petits boutons et mentions "CC" fleurissent un peu partout sur la Toile, et que la presse leur fait connaître leurs heures de gloire. Sont-elles pour autant un signe d’une démocratisation du libre ?

Une liberté relative

Les licences Creative Commons proposent une conception de la liberté qui peut être fort éloignée de la philosophie du libre selon Richard Stallman [1], initiateur du projet GNU. Selon les personnes à l’origine du mouvement CC, la liberté doit être relative à la volonté de l’auteur : certains laisseront toute liberté ou presque aux utilisateurs de leurs ressources, d’autres un champ d’action et de droits plus restreints qui pourront être élargis à la discrétion des auteurs.

Le spectre des licences Creative Commons embrasse une large gamme de nuances plus ou moins libres et plus ou moins propriétaires. Sont ainsi conformes à la philosophie du libre selon la FSF les licences CC :

  • « Paternité » (BY) ;
  • « Partage à l’identique » (SA) ;
  • « Paternité - Partage à l’identique » (BY-SA).

Toutes les autres ne sont pas conformes soit parce qu’elles restreignent les conditions d’utilisation de la ressource licenciée, soit parce qu’elles n’autorisent pas d’oeuvres dérivées. Il faut aussi noter que l’absence de clause de partage à l’identique (SA) peut aussi être source d’incompatibilité avec la philosophie du libre selon la FSF puisqu’elle autoriserait la mise à disposition d’oeuvres dérivées sous une licence propriétaire.

Une liberté à nuancer

Malgré le nombre de licences Creative Commons incompatibles avec la philosophie du libre énoncée par Stallman, il serait concevable que le choix des auteurs se porte majoritairement sur les licences CC compatibles, puisque l’esprit Creative Commons réside dans un principe de liberté pour chacune des parties, ce que critique Antoine Pitrou [2] :

Une propagande simpliste veut que l’initiative Creative Commons (et, par extension, l’ensemble des licences de type « non commerciales ») soit une « petite soeur du logiciel libre »

Une étude menée par Raphaël Rousseau et Julien Tayon [3] montre toutefois que seul un quart des licences Creative Commons utilisées sur le Web sont compatibles avec la philosophie du libre. Bien entendu, s’entend par philosophie du libre une conception donnée de la liberté, mais cette conception est celle qui a guidé et permis le développement des logiciels libres, et des solutions que nous connaissons actuellement. Si l’on imagine qu’un logiciel sous licence GPL est dépourvu de documentation, et qu’un auteur la rédige sous licence CC avec les restrictions ND et NC, les implications potentielles sont dangereuses, aussi bien pour l’avenir de la documentation que pour la pérénité du logiciel. Si une entreprise juge qu’elle peut vendre une solution basée sur ce logiciel mais qu’elle ne peut en distribuer la documentation, il est probable qu’elle renonce à cette solution.

Appréciations de la situation

Ce point est différement apprécié selon les parties. La communauté Debian s’est saisie de la question. Evan Prodromou a rédigé un article sur les nouvelles licences CC version 2.0 à destination de la liste de diffusion interne debian-legal [4]. Il jugea si les termes de ces licences sont compatibles avec les principes du logiciel libre selon Debian, basé sur la philosophie du libre de la FSF, et émit des recommandations de changements le cas échéant. Il conclut son étude par les termes suivants :

Les contributeurs de debian-legal pensent que les problèmes avec les licences Creative Commons qui incluent les éléments de licence « Pas de travaux dérivés » et « Pas d’utilisation commerciale » ne peuvent être résolus sans changer les termes des licences [5].

Frédéric Couchet, président de la FSF France, estime quant à lui que cette incompatibilité prévisible est dûe au rejet d’une vision commerciale pessimiste dont les utilisateurs ne devraient avoir peur :

On note par exemple que la grande majorité licences « Creative Commons » utilisées sont de type « pas d’utilisation commerciale », ce qui peut être une forte limitation à la diffusion de l’oeuvre. Un certain fantasme existe sur la possible récupération commerciale par de grandes structures. Nul doute que le temps fera son oeuvre. [6]

Un appel d’air vers le libre

Pour autant, on ne peut minimiser ni le phénomène, ni l’engouement qu’il suscite. Les licences Creative Commons ont laissé aux auteurs une liberté que ne leur permettait auparavant la simple dichotomie free/non-free de Stallman. Elles ont en quelque sorte permis une démocratisation du concept de libre par sa vulgarisation, notamment grâce aux articles de presse, aux bandes dessinées, mais aussi par les blogs. Nul doute qu’un tel succès promet les Creative Commons à un bel avenir, mais il convient de ne pas oublier les autres initiatives, telles que les licences Art Libre, née du mouvement Copyleft, et la licence WikiP2P, qui souffrent de leur relative méconnaissance. Il n’est toutefois pas question d’inciter à une prolifération des licences libres, ce qui aurait pour inconvéniant principal d’induire des incompatibilités entre elles, et donc d’aboutir à une parcellisation du savoir libre.

"Biblio"

[1] « Qu’est-ce qu’un logiciel libre ? », Projet GNU, 09 juin 2005.

[2] Pitiou Antoine, « Des contenus libres pour des logiciels libres, Libroscope, avril 2005.

[3] Rousseau Raphaël et Tayon Julien, « Creative Commons, adoption et liberté », Libroscope, juin 2005.

[4] Prodromou Evan, Summary of Creative Commons 2.0 Licences, version 3.0, mars 2005 (document placé dans le domaine public).

[5] ibid, « Recommendations for Creative Commons »

[6] Couchet Frederic, « Introduction », « Licences » in Revue de Presse « Selection Libre » 2004, décembre 2004.

Commentaires

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> Creative Commons : une liberté en nuances et à nuancer , le 10 juillet 2005 par Robin Millette (1 rép.)

On a eu une belle illustration de celà à Montréal dimanche dernier à Copyright 2005 quand Richard Stallman et Marcus Bornfreund se sont engouffrés dans un dialogue à propos de la liberté et du pouvoir. J’ai hâte de voir ce que va donner l’enregistrement.

-----> Copyright 2005 - le droit d’auteur et vous

> Creative Commons : une liberté en nuances et à nuancer , le 13 juillet 2005 par Julien Tayon

Je tiens à signaler que l’intervention de rms a été influencée par la lecture du texte que Benjamin Mako Hill a présenté pour les RMLL, et que AntoineP lui a envoyé. Mako a été sommé de publier son texte au plus tôt, rms le menaçant de lui griller la politesse :P

Le texte devrait être publié sous peu en langue anglaise sur http://newsforge.org et simultanément en langue française sur http://libroscope.org et sur https://framasoft.org

Ce texte a été demandé à Mako en février/mars, et est la séquelle de discussion que nous avons eu avec framasoft :-)

Comme quoi le logiciel libre, c’est parfois l’effet papillon : une discussion animée dans un bar à Paris provoque une empoignade dans une conférence au Canada 6 mois plus tard avec des intervenants majeurs. Elle est pas drôle la vie ?

-----> Le libre au delà du logiciel

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> Creative Commons = freeware , le 7 juillet 2005 par David Taillandier (6 rép.)

Cet article me laisse sur ma faim. Qu’il y ait des restrictions du genre "pas d’utilisation commerciale", bon, pas génial, je suis d’accord.

Mais le _vrai_ problème est que je n’ai encore pas vu d’oeuvre (enfin... de production) en creative commons qui soit livrée AVEC LE SOURCE.

Je télécharge une musique en creative commons ... où est le fichier midi original et les wav qui l’accompagnent ?

Je télécharge une animation flash en creative commons ... où est le fichier original me permettant de modifier cette animation ?

En gros, je peux juste copier gratuitement. C’est comme du freeware. Le bruit généré autour du creative commons est du pipeau.

Il ne restent que les photographies et les textes sous creative commons qui soient réellement ’libres’. Car une photo est en quelque sorte l’original (si elle n’a pas été bricolée) et le texte il suffit de copier-coller. ... mais le creative commons permet-il de modifier ?

> Creative Commons = freeware , le 7 juillet 2005 par mpop

L’article ci-dessus soulignait le fait qu’il ne faut pas à tout prix chercher à établir une équivalence entre les oeuvres sous CC et les logiciels (libres ou propriétaires)... dans la même optique, un « CC = freeware » me semble assez peu pertinent. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, un logiciel propriétaire freeware n’est pas librement redistribuable entre utilisateurs, si ?

Où est le source ? Voilà une question qui montre que l’on essaie à tout prix de faire le rapprochement avec le logiciel. Autant dans le domaine du logiciel la notion de code source est primordiale, autant pour une création artistique elle est nettement plus floue.

SOURCE d’un roman : le texte lui-même suffit-il, ou alors faut-il rajouter les versions préliminaires (s’il y en a), les brouillons, au cas où quelqu’un voudrait s’en reservir ? SOURCE d’un film : faut-il fournir l’intégrale des rushes ? etc.

Dans le cas d’une musique, je note une différence de taille avec les logiciels. Le code source d’un logiciel EST le logiciel lui-même, et seule une opération de transcription (non arbitraire) est nécessaire pour arriver au produit final utilisable par tous. Dans le cas d’une musique, avoir en fichier WAVE ou autre les différentes pistes du morceau ne suffit pas à reconstituer le produit final, vu qu’il reste à faire le mixage des pistes. Ou alors il faut fournir des pistes "prémixées", qui peuvent s’assembler sans heurts... on voit bien que l’idée de SOURCE est différente entre une musique et un logiciel.

Mais il est vrai que si on publie une musique sous un contrat CC permettant (ou mieux, encourageant) les travaux dérivés, alors il peut être très utile de fournir également à ceux qui le souhaitent des données de travail plus brutes, comme des pistes isolées. Publier une chanson sous contrat de distribution CC-by-sa (Attribution, Share-Alike) n’oblige pas l’auteur à fournir les "sources" de la chanson, mais si celui-ci choisit de le faire, c’est un signe très fort pour encourager les oeuvres dérivées, qui ne sont pas uniquement autorisées légalement, mais aidées dans la pratique.

Mais en définitive, que les CC correspondent vraiment aux principes du libre ou pas, on s’en fout un peu. Même s’il est appréciable d’avoir sous la main quelques CC compatibles (comme la CC by-sa) et donc exploitables dans des logiciels libres (graphisme, musique...). Pour la documentation des logiciels, je n’en ai pas vu pour l’instant en CC, mais pas mal en GFDL. Donc je ne suis pas sûr que le problème se pose.

PS : certains CC permettent les modifications, d’autres pas. Tous ceux qui ne portent pas la mention "ND" (pas d’oeuvre dérivée) le permettent. Le contrat de distribution Creative Commons le plus répandu est le CC-by-nc-nd (paternité - pas d’exploitation commerciale sans accord de l’auteur - pas d’oeuvre dérivée sans accord de l’auteur), qui en gros garantit uniquement la liberté de l’utilisateur à redistribuer l’oeuvre.

> Creative Commons = freeware , le 7 juillet 2005

je suis en CC et sur jamendo, sa me suffit :)

-----> http://www.jamendo.com/?saelynh

> Creative Commons = freeware , le 7 juillet 2005 par Fabrice

Les CC sont largement utilisées pour les documents, textes... Bien plus largement que les licences libres dérivées d’une problématique spécifique aux logiciels et à la diffusion de code source. Les Logiciels libre/propriétaire gratuit/payant peuvent se concurrencer à égalité sur un ordinateur.

Mais la situation est différente pour une production électronique comme un texte long. Sa commercialisation possible sur support papier ne relève pas du mythe. C’est la voie principale de diffusion pour de nombreux textes longs, scientifiques ou littéraires. Le problème fondateur, c’est que la lecture électronique n’est pas encore équivalente à la lecture papier. De plus, l’impression du document peut s’avérer plus onéreuse que l’achat d’une version papier. Il est donc normal que la restriction de commercialisation soit largement choisie par les auteurs. Autrement, c’est la porte ouverte à un monde ou des auteurs bénévoles travailleraient pour augmenter la marge bénéficiaire des sociétés d’édition. Hors, ces sociétés facturent bien plus que le coût du support. Une solution possible serait la création d’une limitation "version papier non commercialisable" ou une restriction à la commercialisation si le support est modifié.

A l’inverse, pour des textes courts les licences libres fournissent une alternatives efficace à une privatisation illégitime du savoir. La lecture électronique demeure relativement efficace et les frais d’impression demeurent limitées ou moindre car les impressions sont réduites car plus sélectives. Les revues scientifiques en libre accès apportent donc un progrès notable dans la diffusion du savoir. Et ce d’autant plus qu’à l’inverse le scientifique à l’obligation de céder ses droits d’auteur pour être publié dans la quasi totalité des revues scientifiques.

En conclusion, c’est une très bonne chose que les CC laissent des possibilités de restriction.

Salutations

> Creative Commons = freeware , le 8 juillet 2005 par Human Koala

d’autre part si on voulait vraiment rendre "Libre" certaines productions sonore , la personne devrait envoyer les patches des synth, la partoches et les samples de bases ( non mixés genre un kick, une banque de cordes ) du morceau ce qui representerait réellement le source ( mais ca serait beaucoup moins interessant pour certains ;o) ) et il faudrait aussi que les softs utilisés pour cela soit libre ... ce qui n’est pas en majorité le cas

HKK

> Creative Commons = freeware , le 8 juillet 2005 par Dejepe

L’article est intéressant et la conclusion fort pertinente mais c’est en fait le débat lui même que j’ai du mal à saisir.

Si je comprends bien, un des reproches adréssés à la licence CC de ne pas être, lors de l’utilisation de certaines restrictions, 100% libre ? et alors ? ..... Tant mieux !

Les CC comme tout outils juridique sont efficaces quant elles répondent aux besoins du maximum d’utilisateurs, besoins qui plus est très variés. comme le souligne à fort juste titre l’auteur, le succès de la licence CC s’explique en grande partie par le fait qu’elle rompt avec la dichotomie 100% libre / 100 % propriétaire.

> Creative Commons = freeware , le 26 juillet 2005 par proxy

Bjr, Tout à fait OK avec Dejepe ;) Les CC correspondent à ce que je recherche :
 offrir aux lecteurs mes travaux d’écriture sans qu’un éditeur commercial utilise mon travail sans mon accord ni contrepartie. A noter que j’ai eu le cas :( @+

-----> InfosNews

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